Devenir écrivain : un vœu pieux ?

Article : Devenir écrivain : un vœu pieux ?
Crédit: csow
26 septembre 2024

Devenir écrivain : un vœu pieux ?

J’ai toujours voulu être écrivain, mais avec le temps, j’ai réalisé que je ne savais pas écrire. Entre ce que j’ai appris à l’école et la réalité, il y a des obstacles jusque-là insurmontables.

« Apprendre à écrire » est le énième titre que j’ai donné à mon interminable livre, débuté en 1986. J’avais 15 ans. À l’époque, mes textes en prose, écrits à l’encre rouge, étaient une succession d’interrogations ou d’affirmations sur ce que je pensais alors savoir de moi ou du monde. Pendant des années, je les ai relus et transformés. Les poèmes sont devenus des nouvelles. Parmi elles, certaines ont survécu à cette manie de toujours tout réécrire tandis que d’autres ont trouvé leur place dans mon fameux roman dont j’ignore s’il sera un jour autre chose qu’un mutant. Si aujourd’hui je vous en parle, c’est parce que depuis que j’ai écouté, le 18 septembre dernier, sur RFI, l’émission 8 milliards de voisins d’Emmanuelle Bastide, consacrée à l’apprentissage de l’écriture, le dernier titre que j’ai choisi pour mon ouvrage en hibernation revêt un sens nouveau.

Dans les années 1970, à l’école, écriture et créativité ne faisaient pas bon ménage

En suivant le magazine et les différents témoignages, j’ai été curieuse de savoir comment cela s’était vraiment passé pour moi malgré quelques souvenirs épars. Comme j’ai la chance d’avoir retrouvé, dans les archives familiales, mes carnets de la maternelle et de l’école primaire, j’ai vu que c’est en 1975, donc à l’âge de 5 ans, que j’ai débuté mon apprentissage de la lecture et de l’écriture. J’étais alors dans la classe « 12ème Bambou » à la petite école protestante de Dakar, qui avait la particularité d’accueillir des enfants de toutes confessions et nationalités. 

Photo de classe (je suis au premier rang, 3ème en partant de la gauche)

Dans mon fameux roman, je me remémore certaines scènes. Extrait :

« Lorsque j’étais enfant, j’étais fascinée par la calligraphie. À l’école, je déployais de gros efforts pour dessiner de belles lettres aux courbes harmonieuses que je m’efforçais de placer entre ces lignes qui m’obligeaient à refréner mon envie de liberté. Avant de savoir lire, les lettres étaient pour moi de jolis dessins. Je ne comprenais donc pas pourquoi je n’avais pas le droit de dépasser les limites. J’ai appris à écrire avec un stylo à plume bleu qui faisait parfois des taches sombres sur mes cahiers, et sur mes doigts, qu’il fallait impérativement absorber, à l’aide d’un papier Buvard, sous peine de recevoir une correction. » 

Cinquante ans plus tard, j’aime toujours écrire (et lire) et je continue de craindre d’en faire trop, voire de m’égarer au point d’être rappelée à l’ordre, désormais, par les juges du tribunal de l’opinion publique. Sans doute le plus subjectif et sévère qui soit. C’est aussi pour cette raison que mes écrits les plus anciens, les plus intimes et les plus révélateurs restent jusqu’à présent cachés.

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Pour écrire, faut-il être libre?

« Apprendre à écrire » est le titre que j’ai choisi pour mon roman, début 2023, lorsque j’ai compris que le plus grand obstacle à ma vie rêvée d’écrivain était… moi-même. Je croyais ainsi devenir libre. C’est à ce jour peine perdue. À force de m’interroger sur ce qu’il convient de raconter ou de taire, puis sur la manière de présenter des faits réels ou imaginaires et enfin sur ce que mes histoires diront de moi, je tourne en rond. C’est ce qui explique que plusieurs décennies après avoir commencé à rédiger des textes de fiction, librement inspirés de la réalité, je demeure telle une poule couvant ses œufs.

Extraits de trois nouvelles

Dans les années 1980, j’écrivais pour confier à des lecteurs fictifs, mes joies et blessures, mes doutes et certitudes ou de simples états d’âme. Cela m’a longtemps paru plus fiable que de me livrer à des gens dont je ne voulais pas qu’ils découvrent mes fragilités. Depuis mon enfance, j’ai toujours voulu être une « dure ». Peut-être parce que j’étais la petite dernière d’une famille de garçons… Aujourd’hui, à 54 ans, si dans la vie de tous les jours, je ne traîne plus ni complexe ni gêne par rapport à ce que je suis, c’est à dire une femme d’âge mûr soumise aux regards d’une société pas si bienveillante envers les aînés (femmes ou hommes), je n’arrive pas encore à surmonter ma peur d’être lue dans un cadre autre que celui de mon métier de journaliste. C’est d’ailleurs ce qui me fait penser que ce blog commence à avoir un effet… libérateur.

Apprendre à écrire, un défi à relever

Avec le temps, mon envie d’écrire et de partager se faisant plus pressante, je réalise qu’il y a encore du chemin à parcourir car je ne sais toujours pas écrire. Du moins, comme je le voudrais. Le jour où j’arriverai à me défaire de ces chaînes invisibles, mais bien réelles, qui me retiennent prisonnière, peut-être que j’irai frapper à la porte d’un éditeur. En attendant, je continue de déplorer le fait que l’écriture, en ce qui me concerne, reste un art dans lequel ma liberté n’est pas sans limites. Comme je le dis dans mon ouvrage du siècle passé: « Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, aucun être humain ne naît libre. Dès le premier souffle, on vous apprend tout. Il y a un moment pour tout. Il y a une manière pour tout ». Cela dit, le temps de couvaison étant largement dépassé, les poussins pourraient bientôt piailler…

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Commentaires

Kaaw Touré
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Maachaallah, une belle plume avec une belle mémoire. Tjrs un plaisir de te lire.

Cécile Sow
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Merci!