Émigration clandestine, un mal et des maux (in)visibles

Article : Émigration clandestine, un mal et des maux (in)visibles
Crédit: Cécile Sow
30 août 2024

Émigration clandestine, un mal et des maux (in)visibles

Le 8 septembre 2024, soit une semaine à peine après la publication de ce texte, le chavirement d’une pirogue, à Mbour, causait la mort de plusieurs dizaines de personnes, soulevant une vague d’interrogations et l’annonce de sanctions exemplaires contre les convoyeurs et les futurs migrants clandestins, entre autres.

Au Sénégal, la pauvreté et le chômage sont souvent avancés pour justifier l’émigration clandestine. Et si la souffrance mentale y était aussi pour quelque chose? 

Quand je vois les images, souvent insoutenables, de migrants clandestins, vivants ou morts, en mer ou sur terre, j’ai mal et je ne comprends pas. Il y a longtemps que les explications servies par les médias, les politiques, les ONG et même par les concernés (ou leurs proches) ne me satisfont plus. Surtout que le fléau, en plus de persister, prend de l’ampleur. C’était d’ailleurs le principal sujet de la tournée du premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, qui a séjourné, du 27 au 29 août, en Mauritanie, en Gambie, puis au Sénégal, trois pays considérés comme les principaux points de départ des migrants, en Afrique de l’Ouest. 

Au Sénégal, l’émigration clandestine tue de plus en plus

Depuis 2006, notamment, ce fléau revient sans arrêt à la une de la presse. Pour rappel, cette année-là, 340 personnes, ayant embarqué à bord de pirogues à Thiaroye-sur-Mer, un ancien village traditionnel de pêcheurs, avaient péri en mer. Aujourd’hui, on ne compte plus les morts par centaines mais par milliers. Pourtant, les pertes en vies humaines, aussi nombreuses soient-elles, ne découragent ni les candidats au départ ni leurs proches et encore moins les passeurs, grassement payés. Certes, tous les clandestins ne meurent pas en chemin, ne finissent pas dans des centres de rétention, dans des foyers ou dans la rue, mais combien sont-ils à bâtir une vie heureuse, en Europe ou en Amérique? Je l’ignore et ce n’est pas mon propos.

Les clandestins, des victimes de notre société?

Aujourd’hui, je m’interroge sur ce qui, au-delà des réalités souvent invoquées comme la pauvreté, le chômage, etc., peut pousser une personne à se déplacer dans des conditions effroyables, de surcroît sans avoir la certitude de trouver le bonheur au bout de la route. Je voudrais savoir ce qu’il se passe dans la tête du voyageur à l’instant précis où ses pieds quittent la terre pour se poser sur les lattes d’une pirogue surchargée ou pour s’engouffrer dans un véhicule de fortune. J’aimerais comprendre ce qui peut pousser les candidats au départ à forcer cette porte fermée les séparant d’un monde dans lequel ils seront le plus souvent condamnés à vivre dans l’illégalité et la précarité. Je vois les migrants clandestins comme des prisonniers dont les rêves de liberté ont peu de chances de se concrétiser. Au pays, ils sont les otages de notre société très exigeante et peu tolérante. En Occident, ils sont les otages d’un système qui ne veut pas d’eux. 

Quand les foyers deviennent des nids à problèmes 

Dans un environnement où les frustrations peuvent être aussi nombreuses et destructrices que les tentations, il est possible que le mal prenne racine dans nos foyers. Beaucoup ont été fragilisés à cause des problèmes financiers et des tensions qui en découlent. En me basant, par exemple, sur les drames sociaux récurrents, relatés par nos médias, sur les commentaires et témoignages sur les réseaux sociaux ainsi que sur mes propres observations, je crois savoir que nombre de mes compatriotes souffrent des énormes pressions familiales et sociales, subies au quotidien, parfois avec leur lot de brimades ou d’humiliations. Quand les foyers ne sont plus des cocons, mais des nids à problèmes, les oisillons peuvent se risquer à voler de leurs propres ailes ou être éjectés par leurs congénères. 

Pour une prise en compte de la souffrance mentale dans les stratégies de prévention 

De nos jours, grâce aux médias et aux campagnes de sensibilisation, tout le monde, en principe, connaît les risques liés à l’émigration comme à l’immigration irrégulières. Pourtant, les jeunes continuent de partir et de mourir, au cours de leur périple ou à leur arrivée. Les professionnels de la santé mentale, en plus d’intervenir auprès des arrivants, pourraient nous aider à mieux comprendre les mécanismes poussant, d’une part, des jeunes à tenter l’aventure et, d’autre part, des familles à les inciter à le faire, au péril de leur vie. Ils pourraient travailler avec les gouvernements sur des stratégies de prévention plus humaines. Celles-ci tiendraient compte de la détresse dans les milieux les plus touchés. Jouer sur la peur, avec des mises en garde sévères et des mesures répressives, a montré ses limites.

La répression n’est pas un remède contre la détresse

À ce jour, les patrouilles, sur les plages et en mer, et la répression permettent de limiter les dégâts, mais n’empêchent pas tous les candidats de partir ou de gagner les côtes européennes. En outre, il me semble qu’elles n’ont pas non plus le pouvoir de les rassurer sur la capacité de nos gouvernants à prendre en charge efficacement leurs préoccupations. C’est pour cela qu’il y a des jours où je me dis que pour trouver des solutions à certains problèmes, il faut creuser. En toutes choses, il y a une partie visible et une autre invisible. Dans le cas des migrations clandestines, il faudrait peut-être se pencher sérieusement sur le mal-être d’une jeunesse à qui l’on demande trop et dont la détresse mentale n’est pas prise en charge.

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