Je me souviens du pull-over rouge… 

Article : Je me souviens du pull-over rouge… 
Crédit: csow
8 juillet 2024

Je me souviens du pull-over rouge… 

Ce texte, écrit le 19 février 2024, est celui que j’ai présenté au concours Mondoblog. À cette période, le Sénégal était en proie à de sérieuses tensions politiques, entre le pouvoir du Président sortant Macky Sall et l’opposition. L’élection présidentielle s’est finalement tenue dans un climat apaisé, le 24 mars 2024. Elle a été remportée, dès le premier tour, par l’opposant Bassirou Diomaye Diakhar Faye.

Au Sénégal, à chaque nouveau crime de sang, le débat sur le rétablissement de la peine de mort ressurgit, mais on peine à réfléchir sur les causes de ces violences.

Ce matin-là, ils avaient les yeux bouffis et l’air maussade. La vieille, mes camarades avaient vu « Le pull-over rouge », ce film de Michel Drach, racontant l’histoire de Christian Ranucci, condamné à mort, puis guillotiné, à Marseille, le 28 juillet 1976. Je n’étais pas avec eux, mais j’avais été bouleversée par ce qu’ils m’en avaient dit. C’était à Dakar, dans les années 1980. Des décennies plus tard, chaque fois que j’entends parler de la peine de mort, je pense à cet épisode, qui s’était peut-être déroulé au moment où la France l’abolissait, sous l’impulsion de Robert Badinter (qui fut l’un des défenseurs de Me Valdiodio Ndiaye après la crise de 1962, sous le Président Léopold Sédar Senghor, opposant ce dernier au Président du Conseil, Mamadou Dia). 

Des crimes de sang récurrents

Au Sénégal, un hasard de calendrier fait que le débat sur la peine de mort a ressurgi peu de temps avant le décès, le 9 février 2024, de l’avocat et homme politique français et après un énième crime odieux, perpétré cette fois contre un sexagénaire. Avec ou sans statistiques, il paraît évident que les infanticides, féminicides et homicides sont récurrents. Selon la presse sénégalaise, depuis le début de 2024, une bourrasque morbide a emporté une vingtaine de personnes, ce qui a revigoré les défenseurs de la peine capitale.

Néanmoins, comme souvent, l’actualité politique a noyé leurs discours. La vague de contestation soulevée par l’annonce, du Président Macky Sall, de l’abrogation du décret appelant le corps électoral aux urnes, le 25 février 2024, est passée par là… Pour autant, il ne fait guère de doute qu’ils referont surface assez vite. Au prochain crime de sang, des voix s’élèveront pour réclamer des exécutions ou pour féliciter des foules qui auront lynché, peut-être à mort, un coupable ou un innocent. Beaucoup exprimeront une émotion ou une opinion, mais qui engagera une réflexion approfondie sur ces sujets complexes et douloureux? 

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Le rétablissement de la peine de mort, un bond en arrière

La question du rétablissement de la peine capitale remet en cause la loi n°2004-38 du 28 décembre 2004 portant abolition de la peine de mort, s’appuyant, entre autres, sur le fait que « l’expérience, dans plusieurs pays du monde, a prouvé que la peine de mort n’était pas la réponse la plus pertinente pour juguler la criminalité » (selon l’exposé des motifs). Elle laisse également supposer que beaucoup de Sénégalais ne se sentent plus en sécurité et qu’ils veulent être débarrassés des criminels. Nos gouvernants, de même que nos candidats à la présidentielle, devraient y réfléchir et proposer des solutions réalistes. Par ailleurs, dans un pays où acteurs politiques et de la société civile sont prompts à monter au créneau, je trouve regrettable que les agressions mortelles, intervenues en dehors de leurs activités, ne les interpellent pas ou peu. Or, quand il y a des décès dans leurs rassemblements, à juste raison, ils haussent le ton. Peut-être qu’il y a (pour eux) des martyrs, victimes d’un régime qu’ils exècrent, et les autres. Quoi qu’il en soit, tous les criminels, avérés ou supposés, devraient être jugés, devant des tribunaux exempts de tout soupçon. 

La réflexion sur les causes de la forte criminalité est au point mort

Pour inciter l’État et nos futurs dirigeants à inscrire la lutte contre la criminalité parmi leurs priorités, les populations pourraient prendre les devants et ouvrir la discussion avec le soutien des médias, d’activistes, d’associations ou autres organisations. Chaque fois qu’un enfant ou un adulte succombe à une agression, je suis meurtrie. Néanmoins, je pense qu’il n’est pas trop tard pour bâtir une société plus respectueuse de la vie et moins encline à ériger l’usage de la violence en règle. En ce qui me concerne, la forte criminalité m’inquiète, mais je suis contre la peine de mort. Son rétablissement ne servirait qu’à occulter le mal sans le guérir. Pourquoi la vie a-t-elle été désacralisée au point de tuer pour un oui ou pour un non et de vouloir tuer pour faire cesser les tueries? Je cherche encore des réponses. En revanche, je crois savoir que l’exécution d’un condamné, même si elle peut être satisfaisante pour les proches des victimes, n’a pas le pouvoir d’apaiser les souffrances et de combler les vides laissés par la perte d’un être cher. Et, si elle peut libérer définitivement la société d’un individu dangereux, nul n’est à l’abri d’une erreur judiciaire. L’homme au pull-over rouge est mort mais le doute persiste… 

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Commentaires

Thiam
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Bonsoir reçois tous mes encouragements
Confraternellement
Abdoulaye Thiam vice-président de l'association Union de la presse francophone Upf pour l Afrique subsaharienne

Cécile Sow
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Merci Abdoulaye Thiam! À bientôt sur Mondoblog. Excellent week-end!

DIOP
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Excellente contribution.
Le sujet est délicat tant les prises de positions sont diverses et variées en fonction de la culture, de la religion, de l'appartenance idéologique etc. Ce qui reste constant à mon avis est qu'aucune vie ne mérite d'être sacrifiée sur l'autel de la vengeance encore moins la cause qui en le mobile.
La vie mérite d'être vécue dans l'amour et la paix.
Merci beaucoup chère Cécile pour cette production de très haute facture.

Cécile Sow
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Je vous remercie. À bientôt sur Mondoblog. Très bon week-end.

Babacar Guèye
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Débat très actuel effectivement au Sénégal, ou plutôt remis au goût du jur après chaque crime de sang ! Fort heureusement, ceux qui agitent le retour de al peine de mort sont aussi ceux qui prônent, incidemment ou ouvertement, l'instauration de la charité, ce qui est loin d'être gagné au Sénégal...

Cécile Sow
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Je vous remercie de votre contribution. Il est temps de réfléchir aux causes. Un débat inclusif serait utile pour analyser la situation, en toute objectivité, et rechercher des solutions efficaces.