Un écrin de verdure au cœur de l’université de Dakar

Article : Un écrin de verdure au cœur de l’université de Dakar
Crédit: csow
7 août 2024

Un écrin de verdure au cœur de l’université de Dakar

Peu connu du grand public, le Jardin botanique de l’UCAD est l’un des derniers poumons verts de la ville. Dédié à la conservation des espèces et à la formation des étudiants, il est aussi, pour les chercheurs, un lieu où défis et espoirs ne connaissent pas de limites, hormis celles que leur imposent certaines réalités.

Dakar, mercredi 31 juillet 2024. Il est 11h15. Je viens de franchir l’entrée du département de Biologie végétale de la faculté des Sciences et Techniques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), sous un ciel un peu nuageux tandis qu’un vent léger apporte de la fraîcheur. Loin des fumées d’échappement et des coups de klaxon, j’ai l’impression d’être ailleurs qu’à Dakar. De belles plantes embellissent le site, propre et bien entretenu, comme d’ailleurs une bonne partie du campus, qui subit parfois de graves dégradations. Mais aujourd’hui, point d’étudiants en colère ; les lieux sont occupés par des jeunes studieux. L’atmosphère paisible, près des bâtiments, est un avant-goût de ce qu’il se passe de l’autre côté du portail donnant accès au Jardin botanique, dont je ne me lasse pas de parcourir les allées ni de m’imprégner des odeurs de terre humide et de verdure.

De part et d’autre du bassin, karité et palmiers à huile, introuvables dans la région de Dakar (csow)

Le Jardin botanique de l’UCAD est peu connu du grand public. C’est dommage, mais ce n’est pas surprenant puisqu’il n’est pas dédié aux loisirs de masse. Néanmoins, il peut être visité en semaine, aux heures de travail, ou le week-end, dans la matinée. Qu’il s’agisse de visites à but pédagogique ou pas, toutes les activités sont encadrées. Les entrées sont donc contrôlées. Hors de question d’endommager des plantes ou des aménagements, d’abandonner des détritus ou de perturber les nombreux oiseaux que l’on entend chanter. Les docteurs Jules Diouf, Birane Dieng et Ndongo Diouf m’ont servi de guide. Ce sont trois enseignants-chercheurs, avec chacun sa spécialité, soit respectivement foresterie, horticulture ornementale et malherbologie. 

De gauche à droite, Ndongo Diouf, Jules Diouf et Birane Dieng (csow)

Parmi les 245 espèces présentes dans le jardin, plusieurs ont disparu de Dakar et de ses alentours

Le jardin botanique de l’UCAD a une superficie de 3 hectares. Il a été créé en 1961, par le Professeur Jacques Miège, qui occupait alors la chaire de Botanique et de Biologie végétale de l’Université de Dakar, rebaptisée Université Cheikh Anta Diop de Dakar en 1987. À l’origine, c’était un jardin d’essai de culture de plantes introduites, d’expérimentations et de recherches. De nos jours, il constitue le principal support d’initiation à la botanique et à la gestion des ressources naturelles pour les étudiants du département ainsi que pour les élèves des lycées ou écoles de formation. Il comporte six secteurs. Les trois premiers sont pour les plantes médicinales, alimentaires, artisanales et industrielles ; les trois autres concernent la flore du Sénégal, les plantes rares ou menacées de notre pays et enfin l’arboretum. Actuellement, 245 espèces poussent dans ce jardin. « Nous sommes sur un site de conservation ex situ, c’est-à-dire que les espèces que vous trouvez ici ne sont pas dans leur milieu naturel. Ce sont des plantes d’origines diverses introduites pour la conservation », explique Jules Diouf. Selon lui, cela permet d’avoir des représentants d’espèces menacées dans leur milieu naturel, du fait de l’urbanisation galopante et de la pollution, domestique ou industrielle, touchant la nappe phréatique, qui peut également souffrir, certaines années, d’un manque d’eau dû à une faible pluviométrie. 

Grand arum du Sénégal, entouré de nénuphars (csow)

Grâce à des sites témoins, dont celui de Noflaye, situé à une trentaine de kilomètres de la capitale, ces chercheurs détiennent des preuves de la disparition de certaines espèces. Une centaine, si l’on se rapporte aux inventaires réalisés en 1950, en 1992 et en 2021, notamment parmi celles que l’on appelle plantes guinéennes, indique Jules Diouf tandis que son collègue Birane Dieng revient sur le rôle des arbres dans nos villes. « En milieu urbain, ils embellissent notre environnement et le rendent aussi plus sain. Les gros arbres peuvent absorber jusqu’à 360 kg de CO2 et 16 kg de poussière par an. Si nous continuons à déboiser, nous serons toujours plus exposés aux polluants qui ne viennent pas que des véhicules, mais aussi des industries et de nos foyers, avec la fumée des encensoirs, par exemple ». 

Halte au gaspillage de l’eau

Quand on parle de végétation, on pense automatiquement à l’eau. En arrivant devant le jardin botanique de l’UCAD, l’une des premières choses que l’on voit est le bassin (25m X 11m) rempli d’une eau trouble. Il n’est pas là par hasard. Les micro-algues et les poissons, des tilapias entre autres, qui s’y trouvent sont étudiés. L’eau chargée en nutriments sert aussi à arroser le site. Pour le Dr Dieng, il est préférable d’utiliser ce liquide, riche en nutriments, au lieu de l’eau potable, qui, de plus, a un coût non négligeable. Sur la même lancée, il appelle les services publics à mettre en place des récupérateurs d’eau de pluie pour l’arrosage des plantes ornementales se trouvant sur plusieurs ronds-points et le long du trajet du BRT, le Bus Rapid Transit, ce qui ne l’empêche pas d’apprécier les efforts faits pour reverdir un peu Dakar. Il attire néanmoins l’attention des communes, en charge du cadre de vie, sur le rôle que pourraient jouer les botanistes dont les connaissances permettraient de sélectionner des espèces adaptées à notre environnement. « Au fil de leur croissance, les racines ne devraient pas abîmer la chaussée ou les trottoirs, et les feuilles ne devraient pas non plus poser des problèmes de visibilité au niveau des feux et panneaux de signalisation, par exemple. Il faut aussi privilégier les plantes dites succulentes nécessitant moins d’eau » explique-t-il.

Voie de circulation du BRT, bordée de plantes diverses (csow)

L’éducation environnementale pour développer « l’amour du végétal »

Tandis que je découvre la pépinière où les étudiants apprennent les techniques de production végétale, c’est-à-dire comment préparer le sol, utiliser la litière pour nourrir la terre, …, et le « champ-école » où les cours théoriques sont mis en pratique (culture, irrigation, jachère, etc.), les trois chercheurs déplorent ce qu’ils appellent un « manque d’amour pour le végétal » et insistent sur la nécessité de sensibiliser, en particulier, les enfants et les jeunes, sur l’importance des plantes dans notre quotidien ainsi que pour notre survie. « Une partie de la solution se trouve dans l’éducation environnementale et dans la connaissance du monde végétal » soutiennent-ils.

Dans la pépinière (csow)

Selon eux, il est possible d’inciter les jeunes à s’intéresser à la botanique et de leur transmettre des connaissances utiles à tous. « Il s’agit de trouver les bons mots et les bons exemples » défend Jules Diouf. Quand il reçoit des élèves, lors des visites pédagogiques, il leur démontre que notre survie dépend de la terre et de la manière dont nous la traitons. Selon lui, « quand on leur parle de kinkeliba, de pain ou de riz, tout devient concret ». Une fois que le déclic est fait, aborder l’agriculture devient aussi plus simple. À ce propos, Ndongo Diouf, spécialiste de la malherbologie, a également des choses à dire. Pour lui, il n’y a pas de mauvaises herbes, mais la quête incessante du rendement pousse à considérer certains végétaux comme des nuisibles. « Parce qu’ils entrent en compétition avec les espèces cultivées, on cherche à s’en débarrasser. Pourtant, tout a une place et un rôle qu’il faut connaître afin de trouver un équilibre entre nos besoins, notre bien-être et les préoccupations des agro-industries », souligne ce chercheur. 

De grands arbres pour protéger les plantes les plus vulnérables

Au fond du jardin botanique, il y a l’arboretum et ces grands arbres parmi lesquels même les profanes reconnaîtront le neem (margousier) ou le baobab. Véritable forêt, dans laquelle il faut se frayer un chemin, cette partie joue un rôle important dans la préservation du site dans son ensemble car elle forme une barrière de protection contre les vents puissants, surtout durant la saison des pluies. 

Une partie du « champ-école » derrière lequel se trouvent les grands arbres (csow)

Il était une fois… un herbier

Quand on fait un tour au département de Biologie végétale de l’UCAD, il est difficile de ne pas entendre parler de celui que l’on appelle respectueusement là-bas « le doyen Camara ». Ce docteur en Botanique est le responsable de l’herbier. Il y travaille depuis une vingtaine d’années et en connaît bien l’histoire. « Herbier Dakar », tel qu’il est désigné dans le monde scientifique, a été créé en 1960, par le professeur Jacques Miège. Peut-être moins connu et plus petit que l’herbier de l’IFAN (Institut fondamental d’Afrique noire), il n’en recèle pas moins de trésors, collectés, dans un premier temps, par le Père Jean Berhaut, l’auteur de « Flore du Sénégal », parue en 1954, et d’autres ouvrages du même genre, dont l’un fut préfacé par l’ancien président de la République, Léopold Sédar Senghor. Au moment de la création de l’herbier, raconte le Dr Abdoul Aziz Camara, il avait fallu adresser une demande au Musée d’histoire naturelle de Paris afin de récupérer les doubles des échantillons de Berhaut. Il y en avait alors 8000. En 1996, il y en avait 13 000 et aujourd’hui, il y en a près de 30 000, indique le doyen, tout en précisant que depuis 1960, les chercheurs ou étudiants laissent, en principe, des doubles à l’université. « Nos activités ont connu un essor, à partir de 1993, dans le cadre d’un projet avec l’université danoise d’Aarhus qui a duré quelque temps » précise-t-il. Et la nouveauté des dernières années, ce sont les algues marines qui ont maintenant une place dans l’herbier. Un recensement est en cours ; leur nombre est déjà estimé à quelques centaines. 

Le Dr Abdoul Aziz Camara devant un échantillon de la Collection Berhaut (csow)

Soutenir la recherche scientifique est une nécessité

Après la visite du jardin botanique de l’UCAD et mes échanges avec les docteurs Jules Diouf, Birane Dieng et Ndongo Diouf, je reste convaincue qu’il existe dans notre pays des scientifiques bien formés et passionnés manquant, malheureusement, d’opportunités et de moyens pour partager leurs connaissances et savoir-faire. Pour eux, qu’il s’agisse de préserver ou de restaurer les écosystèmes, d’assainir notre environnement grâce à l’implantation de végétaux adéquats ou encore de développer une agriculture performante et respectueuse de l’environnement, il y a tant de choses à faire. Au moment où le changement climatique, avec toutes les conséquences que nous connaissons, est une préoccupation commune, ces enseignants-chercheurs, encouragés par le chef de leur département, le Professeur Aboubakry Kane, et beaucoup de leurs collègues, d’autres facultés de l’UCAD, mériteraient plus de reconnaissance, de la part de nos dirigeants comme du grand public. Et surtout, il leur faudrait un soutien concret et continu. 

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Commentaires

Bira Guèye
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Magnifique reportage, le talent ne se perd pas.

Cécile Sow
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Merci Grand Bira! À bientôt.

Diop
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Excellent document. Merci de nous avoir partagé ce si riche patrimoine.

Cécile Sow
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Je vous remercie. J'ai pris beaucoup de plaisir à réaliser ce travail. À bientôt.

Blaise Antimbi MANE
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Merci Mme SOW-MBOW pour ce "reportage". J'avais déjà visité les lieux mais je n'ai pas eu les informations précieuses que vous partagez. La connaissance des plantes et plus largement de la nature est un défi pour les jeunes générations. On protège mieux ce dont on connaît l'importance. Merci de contribuer à cet éveil.

Cécile Sow
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Je suis ravie de savoir que cet article vous a plu.En effet, nous protégeons mieux les choses dont nous connaissons l'importance. J'espère que nous prendrons plus soin de notre chère Terre.

xarmatt01@gmail.com
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Merci 🙏 je ne connaissais pas cette endroit, belle endroit et article bien écrit, on voit que la personne est une amoureuse de la nature. J'irai visiter inch'Allah, si je reviens au Sénégal.
Sow Sunny pour toi 😌

Cécile Sow
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Aaah, oui, Sow Sunny! Merci. Oui, j'aime beaucoup la nature et j'ai été ravie de découvrir cet endroit. À bientôt.

Ngagne Ndong
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Excellent travail

Cécile Sow
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Merci Ngagne Ndong!