Lutte contre les noyades au Sénégal: surveillance des plages et diversification des loisirs devraient aller de pair

Article : Lutte contre les noyades au Sénégal: surveillance des plages et diversification des loisirs devraient aller de pair
Crédit: @xaadim_bamba_mbow avec accord pour publication
24 juillet 2024

Lutte contre les noyades au Sénégal: surveillance des plages et diversification des loisirs devraient aller de pair

Au pays de la Teranga, la période des grandes vacances est aussi celle des noyades. Pour lutter efficacement contre ce fléau, une approche plus globale pourrait être envisagée, avec le concours des pouvoirs publics.

Il y a quelques jours, j’ignorais que le 25 juillet était la date de la Journée mondiale de la prévention de la noyade. C’est en cherchant des informations sur le Net, sur les noyades au Sénégal, que je l’ai découvert. Dans d’autres circonstances, j’aurais parlé d’un heureux hasard, mais quand il y a des morts à déplorer, après la consternation et la tristesse, arrive le temps de la réflexion. En parcourant les chiffres, révélés par l’OMS, j’ai été étonnée d’apprendre que ce fléau emporte tous les ans 236 000 personnes, à travers le monde. Même si ce nombre ne concerne pas précisément les cas survenus en mer (notre thème du jour), il m’a paru intéressant de le mentionner. En outre, on peut noter que 90% de ces décès interviennent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire.

Au Sénégal, l’âge moyen des victimes de noyade se situe entre 14 et 22 ans

Depuis plusieurs années, le nombre annuel de noyades en mer ne cesse d’augmenter. Selon l’Association des maîtres-nageurs, sauveteurs et surveillants de baignade au Sénégal (AMNSSB), de juillet 2022 à juillet 2023, 347 personnes ont péri, notamment sur les plages de la banlieue dakaroise (seuls 5 décès ont été notés dans la capitale). En 1993, année de la création de l’association, accompagnée par le maire de Dakar de l’époque, Mamadou Diop, il y avait eu 54 décès en douze mois. En 2024, 32 ont été enregistrés en trois mois, alors que les pics de fréquentation n’ont pas encore été atteints. La plupart des victimes (des garçons surtout) sont âgées de 14 à 22 ans. Trois filles figurent dans ce décompte et un trentenaire. Les vastes plages de la Grande Côte, situées à proximité des banlieues de Dakar, sont les plus fréquentées et les plus meurtrières. Au fil des ans et de l’urbanisation de certaines zones, ces plages, interdites à la baignade, sont devenues des lieux de rencontre pour les jeunes. Tandis que le béton prend de plus en plus de place, que la taille des logements rétrécit et que la population augmente, ces grands espaces sont plus que tentants pour eux. Ils peuvent y jouer au football, pratiquer des activités comme le volley-ball ou la lutte, se retrouver autour d’un petit fourneau pour discuter en sirotant une tasse de ataya (thé vert à la menthe), etc.

Grandes vacances et grosses chaleurs contribuent à la ruée vers les plages

Plage de la BCEAO (amnssb avec accord pour publication)

Durant les mois de juillet, août et septembre, tous les jours des centaines et des centaines de jeunes passent des heures en bordure de mer, parfois jusque tard dans la nuit. Le problème est que certains sites prisés sont aussi parmi les plus dangereux. L’axe Cambérène-Malika, long de quelques kilomètres, pourtant interdit à la baignade, attire les foules, en dépit des risques liés, entre autres, à la houle et aux courants puissants. Pour les jeunes issus de familles modestes, voire pauvres, ces plages ont l’avantage de se trouver à proximité des lieux d’habitation, d’être immenses et gratuites. Ainsi, malgré les risques, les vacanciers, et aussi des jeunes désœuvrés, y vont. Face à ce constat, Ibrahima Fall, président de l’AMNSSB, pense qu’il est urgent de renforcer les moyens de surveillance sur place, même quand elles sont interdites à la baignade.

150 vies sauvées par les maîtres-nageurs depuis 2023

Des discussions sont d’ailleurs en cours avec la Direction de la Protection civile, le principal interlocuteur de l’association. Le but est d’arriver à sécuriser toutes les plages fréquentées, sans exception. En attendant un éventuel accord, une centaine de maîtres-nageurs et sauveteurs de l’association (sur 412) a été recrutée par la mairie de la capitale. Ils sont positionnés, tous les jours de 9h à 19h, sur les 26 zones de baignade autorisées à Dakar. Leur présence est à saluer. Depuis 2023, ils ont réussi à sauver 150 vies. Les sapeurs-pompiers sont également mobilisés. Dans la capitale, la plage de la BCEAO (Yoff), qui n’est pas sans risque à cause des baïnes, est l’une des plus surveillées, mais pour être plus performants, les effectifs en poste demandent des moyens supplémentaires. « Malgré le soutien de la Mairie de Dakar, qui met à notre disposition du matériel indispensable comme les planches ou les filins de sauvetage, nous avons besoin de plus de balises, bouées, jumelles, sifflets, tenues adaptées et même de miradors », souligne Ibrahima Fall, au moment où 75 nouveaux venus sont en train d’être formés, gratuitement, par la Brigade nationale des sapeurs-pompiers. La Fédération sénégalaise de natation et de sauvetage (FNS) dispense également des formations, mais elles peuvent être payantes.

Maîtres-nageurs et sauveteurs en formation à Mbao (amnssb avec accord pour publication)

Beaucoup de Sénégalais ne savent pas nager

Notre pays a 700 km de côte, mais beaucoup de Sénégalais ne savent pas nager. Bien qu’il n’y ait pas de données précises, les maîtres-nageurs estiment que sur dix baigneurs, sept au moins ne savent pas nager, alors que cela pourrait sauver des vies. S’il est vrai que la banlieue dakaroise, très peuplée, est particulièrement touchée par ces noyades, la ville de Saint-Louis, au nord du Sénégal, n’est pas en reste. Le Comité départemental de développement (CDD) s’est d’ailleurs réuni, début juillet, pour définir une stratégie de lutte, en particulier pour la plage appelée « Hydrobase », réputée dangereuse. Depuis le mois de janvier 2024, la ville a enregistré 10 noyades fatales. Outre le renforcement des mesures de sécurité (fermeture de certains sites, balisage, surveillance, etc.), à Dakar et dans la banlieue ainsi qu’à Saint-Louis, la question de l’apprentissage de la nage est aussi récurrente. Mais, comme le dit Ibrahima Fall, « il faudrait plus de piscines et des tarifs moins élevés ». « 40 000 F CFA ou 50 000 F CFA (75 euros environ), c’est très cher pour la majorité des familles », estime-t-il. Et il a raison. S’il est vrai que savoir nager peut sauver des vies, que renforcer la surveillance sur les plages peut dissuader les gens de prendre des risques ou permettre de les secourir en cas de besoin, cela ne suffit pas à régler le problème. 

Ibrahima Fall, président de l’AMNSSB (amnssb avec accord pour publication)

La jeunesse pourrait s’épanouir dans des activités culturelles et sportives variées

Année après année, médias, associations et autres organisations initient des campagnes de communication sur les noyades, incluant la distribution de flyers sur les plages ou l’organisation de journées de sensibilisation. Ce 25 juillet, les activités se dérouleront sur les plages de la BCEAO et de Malika. De nos jours, il semble que beaucoup de gens soient conscients des dangers de la mer, mais est-ce assez?

Journée mondiale de la prévention de la noyade 2021 (amnssb avec accord pour publication)

À mon humble avis, au-delà de la connaissance des risques, se posent les questions de la prise en charge des besoins de la jeunesse et des politiques publiques à son endroit, dans un contexte socio-économique difficile. En réalité, les Dakarois et leurs camarades des banlieues n’ont guère de loisirs. Sans préjuger de ce qu’ils veulent, je peux néanmoins souligner que des immeubles poussent sur des aires de jeu, que d’anciens cinémas sont transformés en centres commerciaux, que les lieux d’expression artistiques (centres socio-culturels, foyers des jeunes, etc.) sont insuffisants, peu ou pas équipés, ou trop exigus pour les accueillir. Quant aux bibliothèques, elles sont rares… Finalement que leur reste-t-il? Pas grand-chose. Ils peuvent tourner en rond dans les rues, occuper les plages dangereuses ou rester à la maison, scotchés à l’écran d’un smartphone. Dans le pire des cas, ils pourraient mal tourner ou embarquer dans des pirogues, au péril de leurs vies… Certes, c’est un peu caricatural, mais mon souhait serait que nos jeunes, en particulier ceux des milieux défavorisés (beaucoup plus nombreux), aient des alternatives intéressantes qui leur offriraient la possibilité de s’épanouir dans des activités culturelles, sportives ou autres, selon leurs préférences. 

Le Sénégal a besoin d’une jeunesse capable de se projeter vers de nouveaux horizons

Jeunes sur une plage de la Grande Côte (@xaadim_bamba_mbow avec accord pour publication)

Le Sénégal a besoin de jeunes bien éduqués, bien formés et créatifs, dont les perspectives iraient au-delà des limites de leurs quartiers. Pour une meilleure gestion de leurs préoccupations, je plaide en faveur d’une approche plus globale. Sensibiliser sur les noyades et apprendre à nager, c’est nécessaire, urgent et vital, mais il faut plus.

L’avenir des jeunes du Sénégal commence à la maison, grandit à l’école, se construit dans des activités valorisées et valorisantes, susceptibles de leur permettre de gagner leur vie honnêtement, à l’âge adulte, et de contribuer au développement de leur pays. Aujourd’hui, en tant que parent, je me sens très concernée par les drames qui frappent les familles de tous ces adolescents emportés à la fleur de l’âge. Bien qu’ils soient compatissants, il faudrait que les pouvoirs publics prennent en compte les besoins de la jeunesse sans omettre la question des loisirs car elle est essentielle. En fait, sur le papier, c’est presque parfait. Maintenant, il faut donner vie aux projets…

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Commentaires

DIOP
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Excellent panorama. C'est dommage de le constater chaque année. Il est grand temps que des mesures de prévention et d'accompagnement soient mises en œuvre au grand bonheur des baigneurs que rien ne peut malheureusement arrêter.

Cécile Sow
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Merci. Des mesures sont prises, mais les baigneurs ne semblent pas pouvoir résister à l'appel de la mer.

Pape Amadou Fall
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Belle réflexion espérons que l'Etat et les communautés y soient sensibles. Bonne continuation

Cécile Sow
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Merci. Espérons...